EXTRAITS DU LIVRE

Le bilan et la prise en charge : sur le chemin d’une nouvelle voix.

Carine Klein-Dallant, Orthophoniste

1.6 Objectifs de rééducation :

Comme dans tout bilan vocal, j’essaie de dresser avec le ou la patiente un portrait de la voix vers laquelle elle ou il veut tendre. Je propose d’évoquer les mots correspondant à leur voix actuelle, adjectifs le plus souvent, pouvant la décrire. Ces mots seront si besoin précisés, explicités, afin que l’un et l’autre sachions de quoi l’on parle.

En effet, une voix « chaude », « claire », « rauque », « légère », n’a pas le même sens pour tout un chacun. L’important n’est pas que les patients maîtrisent notre jargon professionnel, mais que nous comprenions ce qu’ils mettent derrière les mots qu’ils emploient, et notamment si c’est accompagné d’une connotation positive ou négative.

Par exemple : « j’ai une voix douce » peut vouloir dire : « j’aime ma voix douce, elle est agréable à entendre », ou « j’ai une voix qui manque d’intensité et ne me permet pas d’être efficace professionnellement », ou les deux.

Cette connotation détermine le « j’aime cette partie de ma voix » ou « je veux tendre vers la modification ou la disparition de cette partie de ma voix », d’où l’importance d’expliciter ce que l’on met derrière ces mots. Nous sommes là dans les objectifs de rééducation.

Une fois que l’on a la liste des adjectifs caractérisant la voix actuelle, on peut poser la question : quels sont les mots que vous souhaiteriez voir disparaître avant la fin de la prise en charge, et ceux que vous désirez garder ?

On peut également demander : A quoi vous sert votre voix et que représente-t-elle pour vous ?

Les réponses obtenues ici sont souvent propices à de nouveaux questionnements pour les patient(e)s et à la poursuite de notre dialogue.

Au-delà de parler ou chanter, lorsque l’on entend « ma voix me sert à convaincre » ou « à séduire », « ma voix parle de moi » ou « ne doit pas me trahir », ce sont des objectifs bien différents dont il faudra tenir compte. La notion d’harmonie toujours importante en rééducation vocale est particulièrement prégnante ici.

Une dernière question pourrait être : Qu’attendez-vous de moi ?

Le genre et la norme, questions à l’œuvre dans la prise en charge orthophonique des personnes transgenres

Stéphanie Garnier, Orthophoniste, Biarritz.

Une brève histoire du genre

La notion de genre émerge dans un champ de savoir médical, inaugurée par Blair Bell en 1915 (Castel, 2003). Distinguée du sexe, elle sert à encadrer conceptuellement le rapport paradoxal entre anatomie et comportement constaté chez des sujets intersexuels, permettant alors de valider et de standardiser leur prise en charge médicale (psychiatrique et somatique).

Mais c’est au psychologue néo-zélandais John Money (1955) que la paternité du terme gender est communément attribuée. Ses travaux sur des cas d’hermaphrodisme lui suggèrent que le sexe anatomique d’un individu (sa sexuation) et le rôle d’homme ou de femme que celui-ci revêt en société sont indépendants. En effet, s’interroge Money, lorsque le sexe anatomique d’un individu est ambigu, qu’est ce qui détermine l’inclusion de ce dernier dans la catégorie homme ou femme ? D’après le psychologue, c’est le rôle social attribué à l’un ou l’autre de ces sexes qui est déterminant. Ce rôle, autrement dit le genre, est conçu par Money comme un ensemble de comportements sexués conditionnables par l’éducation reçue. Pour autant, Money n’a pas pu démontrer avec ses jeunes sujets hermaphrodites que l’identité sexuelle était le fruit d’un pur conditionnement[1]. Cependant, même si la théorie behaviouriste de Money échoue, l’utilisation conceptuelle du genre qu’il a établie pour dénaturaliser le sexe et marquer la différence entre la marque biologique et la construction sociale et culturelle de l’individu, demeure un outil indispensable pour penser la liberté constructiviste de l’homme face à ses déterminismes naturels. Dès lors, l’être humain peut ne plus être le produit passif d’une nature aveugle et hasardeuse pour devenir un projet actif et raisonné dont il est auto-entrepreneur.

Robert Stoller (1964), psychiatre et psychanalyste américain, s’intéressant plus précisément à la transsexualité, sépare le genre de la sexualité (définie comme l’ensemble des conduites et pratiques sexuelles) et s’intéresse à ce qui constitue l’identité de genre  pour distinguer les transsexuels des homosexuels. Ce dernier réfute l’origine biologique du genre et par conséquent le naturalisme des connections entre sexe et genre, fondant ainsi le champ théorique dans lequel se construiront les études féministes dans les années 70.

Enfin, la dépathologisation des phénomènes transgenres (2010) a achevé la disqualification du déterminisme biologique qui définit le sexe comme l’origine du genre. En effet, si l’inadéquation entre sexe et genre n’est pas imputable à la maladie mentale et si aucune cause organique ne peut en rendre raison, alors cette inadéquation démontre par sa seule existence (devenue légitime car provenant d’un sujet « normal » et « sain », par opposition à « fou » et « malade ») qu’il  n’y a pas de rapport de causalité (autrement dit nécessaire) entre le processus biologique de sexuation et le processus subjectif et social d’indentification de genre. Cette disparition du biologique dans l’articulation sexe/genre, réinterroge la place de la médicalisation dans les parcours trans qui s’inscrivent dans une technologie de genre (Macé 2010).

 

 

[1] Voir à ce propos le célèbre et malheureux cas Reimer, détaillé par Castel PH (2003) : en 1966, David Reimer, un jeune garçon victime d’une calcination de la verge à la suite d’une opération du phimosis fut conditionné, sous les conseils de Money, à devenir une femme sous le prénom de Brenda qui lui fut attribué. Ce garçon élevé en fille par ses parents sous le contrôle du psychologue, choisira néanmoins de rester homme et se mariera avant de se suicider.

Le bilan et la prise en charge : sur le chemin d’une nouvelle voix.

Carine Klein-Dallant, Orthophoniste

1.3.2 A part la voix, qu’est-ce qui contribue à cette notion de féminité ?

Il semble évident que nombre de femmes n’ayant pas une voix aiguë sont très féminines, qu’est-ce qui peut donc contribuer à cette perception, au-delà de la voix ?

-l’articulation,

-le débit et les pauses,

-la modulation,

-les mimiques, l’expression du visage, des yeux en parlant et dans les pauses, le changement d’orientation de la tête, inclinaisons par exemple ; ce que l’on fait de sa bouche, en parlant et dans les pauses, au-delà de l’articulation,

-la gestuelle et le regard, même lorsqu’ils n’accompagnent pas les propos,

-ce que l’on fait de ses mains même lorsqu’on ne parle pas,

-la posture en parlant et sans parler,

-la façon de se déplacer,

-la façon de répondre au téléphone,

-le phrasé,

-la façon de dire bonjour en serrant la main ou faire la bise,

-l’utilisation du vocabulaire, la façon de s’exprimer et celle d’écouter.

La prise en charge pourra donc s’attaquer à tous ces éléments qui forment un tout autour de la voix.

Le travail de féminisation/ masculinisation vocale avec les personnes transgenres : place et action de l’orthophonie face à une problématique sociale

Lucile Girard-Monneron, Orthophoniste, Paris.

  • Un examen phoniatrique a-t-il été fait ?

    La majorité des personnes que je reçois ne me sont pas adressées par un ORL ou un phoniatre. Elles ont souvent une ordonnance de leur médecin traitant, de leur endocrinologue ou de leur psychiatre. Sans médicaliser à outrance, je leur propose de faire un « état des lieux » avec un phoniatre spécialisé dans ce type de problématique. D’une part pour vérifier qu’il n’existe pas de pathologie ou d’anomalie (ce qui n’empêcherait évidemment pas le travail orthophonique mais pourrait l’orienter un peu différemment), d’autre part pour que la personne Trans puisse évoquer techniquement les différentes chirurgies et avoir un deuxième avis sur sa voix et le travail vocal. Par ailleurs la chirurgie de réduction de la pomme d’Adam étant prise en charge à 100% via L’ALD c’est aussi le moment d’en parler.

    Si la patiente ne souhaite pas faire cet examen je ne l’y oblige pas, sauf dans le cas d’une voix atypique.

    • Comment sont ses relations familiales et professionnelles ?

    Certaines patientes n’ont pas encore fait leur « coming out » soit à leur travail, soit dans leur famille, soit aux deux. Elles n’utiliseront donc pas tout de suite leur voix féminisée et joueront sur les deux registres. Ce n’est pas un obstacle au travail vocal mais cela ralentira un peu sa mise en place. Je rassure la personne sur le fait qu’elle ne risque pas de sortir de mon cabinet bloquée en mode aigu et que la féminisation vocale se fait lentement et progressivement donc pas d’inquiétude.

    Pour certaines il y a une obligation professionnelle de prendre souvent la parole ou un changement de poste est à prévoir, cela déterminera en partie la fréquence des séances et le renforcement de certains exercices.

    Evaluation de la voix et du comportement vocal

    • Le passage du mécanisme I au mécanisme II est-il possible ?

    Nous utiliserons pour cet examen la reproduction de glissandi du grave vers l’aigu dont nous donnerons le modèle. Dans le cas où le glissando n’est pas possible nous donnons souvent l’image de l’adolescent qui fait un « beuuuuurk » modulé du grave vers l’aigu. Cette image fonctionne assez bien ; naturellement je montre l’exemple ! La possibilité de passage d’un registre à l’autre est importante à noter pour la suite du travail.

    • Où se situent les points d’articulation ?

    Il ne s’agit pas ici de faire une étude exhaustive de l’articulation mais de noter si celle-ci est particulièrement serrée, postérieure ou si l’avant de la bouche est aussi investi. J’explique aux personnes que la façon de parler masculine se situe plus vers l’arrière de la bouche ce qui favorise une position basse du larynx. Le parler féminin cherche des sonorités plus vers l’avant ce qui permettra un passage du larynx en position haute. On parle de la sensualité des lèvres ou de la bouche d’une femme beaucoup moins de celle d’un homme.

    • La voix que j’entends me semble-t-elle proche du genre ressenti par la personne ? Pourquoi ?

    Cette appréciation est évidemment très subjective mais je trouve important de noter la première impression de départ. Cette appréciation est notée dans deux contextes : le premier en direct au cours du premier entretien, le deuxième en écoutant, en différé, un enregistrement de quelques minutes que j’ai pris, en expression spontanée, au cours de l’entretien. Cette notation subjective pourrait s’apparenter au GRBAS. Nous avons construit avec plusieurs collègues, notre échelle ainsi : voix masculine grave/médium/aiguë, voix androgyne vsmasculin/vsféminin, voix féminine grave/médium/aiguë. 

     

     

     

Le bilan et la prise en charge : sur le chemin d’une nouvelle voix.

Carine Klein-Dallant, Orthophoniste

2.2 Le souffle :  

On sera amené à travailler un souffle costo-abdominal, afin de mettre en place un soutien efficace de cette nouvelle phonation, notamment pour les MtoF. Citons Dominique Morsomme et Angélique Remacle: « Etant donné que nous cherchons à atteindre une fréquence plus haute et une mélodie plus féminine, la position du larynx sera modifiée pour se situer légèrement plus haut dans le cou. Cela entraîne naturellement une augmentation de la pression sous-glottique. ». (2)

D’où l’importance de ce soutien pour éviter tout forçage compensatoire.

Mais il s’agit aussi d’aider les patientes à comprendre en quoi la présence d’un peu de souffle peut ou non avoir une influence sur la perception de la féminité. De très nombreuses femmes ont une voix légèrement voilée sans aucun caractère pathologique, reste à savoir si cet aspect-là plaît à la patiente et si elle aimerait tendre vers cela.

En principe, durant les premières séances, ce point aura été abordé et l’on pourra si nécessaire proposer quelques exercices sur des sons tenus, phrases, textes, conversations dans lesquels on tentera de voiler plus ou moins la voix, c’est-à-dire de rajouter un peu d’air. On peut pour cela agir sur différents paramètres : par exemple diminuer le tonus vocal ou celui du geste vocal globalement, afin que l’accolement soit un peu moins optimal ; ou rajouter un peu d’air dans une inspiration active pour compléter l’inspiration passive (relâchement abdominal).

On pourra analyser des voix comme celles de Vanessa Paradis, Mylène Farmer (jeune et moins jeune), Fanny Ardant (intéressant d’écouter différents interviews car la voix n’y est pas précisément la même, ou en regardant un de ses films selon les scènes), idem pour Charlotte Gainsbourg. A l’opposé on écoutera des voix plus timbrées comme celle de Catherine Deneuve, Claire Chazal, Catherine Ceylac…

Il y aura donc, selon le souhait de la patiente, un aspect esthétique à rechercher : j’aime ou non ajouter un peu d’air à ma voix et ce en permanence ou dans certaines situations, et à moyen terme pour nous à vérifier que cela n’induit pas de dysfonctionnement.

Le bilan et la prise en charge : sur le chemin d’une nouvelle voix.

Carine Klein-Dallant, Orthophoniste

2.8 L’intensité faible et forte

…On pourra ensuite combiner intensité et intonation/intention en variant le choix des mots comme ci-dessous, puis on pourra effectuer cet exercice en choisissant de remplacer l’intensité par la douceur, ou le tonus, un voile, etc. et de combiner là aussi avec l’intonation/intention :

Je suis particulièrement heureuse de vous rencontrer

Je suis particulièrement heureuse de vous rencontrer

Je suis particulièrement heureuse de vous rencontrer

L’idée de ces exercices, essais, comme dans toute rééducation vocale, est de parvenir peu à peu à tout maîtriser, individuellement ou en combinant.

2.11 Le travail avec des textes comme support :

Extrait de « Florence Foresti fait des sketches à La Cigale » (sketch 6/12)

Ce texte permet à condition de prendre un accent snob, d’explorer des résonances différentes et de travailler l’allongement des syllabes et des fins de phrases ainsi que les intonations ascendantes et descendantes.

Bonsoir. Vous savez, je… Je crois que si j’en suis là actuellement, à exercer ce merveilleux métier d’actrice de cinéma… Ce n’est pas uniquement grâce à mon talent. Non ! Non. Je crois que c’est avant tout grâce à ma famille.  Quand je dis ma famille, je pense à mon « marÊ » et… Mon « marÊ ». M, a, r, Ê. MarÊ. Mon époux, si vous préférez.  C’est égal. Notez ce que vous voulez. Il est également mon producteur, mais c’est anecdotique. Quand je parlais de famille, je pensais à mes enfants. Ce sont des merveilles, et dans la vie d’une femme, ça n’a pas de « prÊx ». Car je suis également une femme. Ne l’oublions pas. Peut-être même avant d’être une actrice. Mes enfants sont tout pour moi, vous savez. Ils m’ont

Extrait de : L’addition de Muriel Robin

Ce texte permet également de travailler la différence entre tonus important et tension de la voix et du geste vocal, ainsi que la voix d’appel.

…L’addition, s’il vous plaît !… Ah… alors, 1574, 1600… On partage, hein, parce que sinon ça sera trop long. On est combien on a dit ? On était 14, hein c’est ça ? Ben 14, 100 francs, ça ferait mille quatre…110, ça va tout englober, on va pas chipoter, tac ça fait 110 par personne, voilà ! Euh, on paye, on y va ? Demain, on s’lève !… Jean-Claude, tu m’passes mon sac, il est sous ta chaise… Pardon, Myriam ??… Ça t’ennuie qu’on partage ?? … T’as pris qu’une salade, toi ?? Ah oui… Eh ben, tu vas la payer à part ta p’tite salade !! Hein ? Et puis nous, on divise le reste, parce que on préfère ! … pas…on préfère pas… Ah ben moi j’dis ça pour arranger…Ah, qu’est-ce qu’on fait ? Comme vous voulez, moi ça m’est complètement égal, qu’est-ce que ?? … On fait l’détail !? (Silence) Ça va être simple, ça encore…Je sais pas… Quelqu’un a un stylo? 

-Texte compliqué à lire : qu’est-ce que je perds de ce contrôle ?

Ce texte sera inclus dans le travail autour des perturbateurs de la voix, voir plus loin (2.12).

…ça moduglianise dans tous les demi-tons

l’orange cramoisit dans le buffet kaki

le matériau pèle

l’outremer déborduase

inondant la palette de chrome envahinée

qui écarlate enfin

dans une apothérose émouvantablement supercolorifique !

 

 

….

Trouver son identité vocale : une étape majeure dans la féminisation des femmes transgenres.

Nicole Marquis, orthophoniste, Vichy

  • Travail vocal :

Echauffements vocaux :

Soupirs sonores

Mmm, mm (c’est bon) à différentes hauteurs. Mm (désaccord), mmm (interrogatif)…

Travail à la paille, son tenu, glissades, sirènes. Repris plusieurs fois à la paille, ils sont ensuite réalisés sans.

Exercices :

  • mmmmm……mmmi, mmma tenus
  • Des sirènes pour balayer tous les sons réalisables, des plus graves au plus aigus (même en voix de fausset), et trouver des hauteurs confortables (sans tension excessive, cohérentes…)
  • Travail sur un son qui convient à la patiente pour des sons tenus, des attaques douces, soufflées… On n’hésite pas à changer de hauteur pour être plus confortable, à expérimenter.

…..

Travail de la résonance pour accéder à une voix plus aiguë, sans pousser, mais surtout  donner son timbre à la voix.

  • Repérer une boule dans la bouche qui représente la résonance (une boule sur le palais quand on fait des ah ! ah !)

Faire des sons en pleurant « ma ma », on ressent que la résonance est plus haute.

On essaie ensuite de faire des sirènes en faisant monter cette boule tranquillement, de façon naturelle, un peu soufflée si nécessaire sur ou, puis sur i, puis sur a. on essaie à moindre volume.

Si on sent une tension laryngée, on essaie de replacer le son « dans le nez » pour ressentir à nouveau la résonance.

On peut essayer de faire des glissades ascendantes dont l’intensité décroit au fur et à mesure.

  • « A la façon des moines », exercice recto-tono sur a/e/i/o/u, en essayant de chercher la résonance. On essaie sur plusieurs notes.
  • Exercice suivant : sing ! glissades type sirène. On ressent le « sourire intérieur » pour améliorer la résonance haute.
  • Sirènes sur « ng » à faible volume. Glissades, en gardant la langue contre le palais, et « en pleurant » et sans partir en voix de fausset. Ensuite, on essaie de chanter « a » sur la fin de la glissade (donc dans l’aigu), puis sur toute la glissade, en gardant les mêmes positions et ressentis.

Féminiser sa voix en 3 notes et 8 étapes

Stéphanie Perrière et Joana Révis, Orthophonistes, Nice, Marseille

Étape 4 : la voix résonante 

« Mamma Mia » ! « Emmenez-moi » au bout de ma voix…

Outre le fait que la réverbération sur les cavités de résonance permette d’amplifier le son, la forme des résonateurs façonne la couleur de la voix. Produisez un /a/ dans la portion postérieure de l’espace buccal (comme dans « pâtes ») et il semblera sombre et grave. Déplacez-le ensuite sur le palais dur, sans changer sa hauteur (comme dans « patte ») et il aura une consonnance plus claire et aiguë.

On comprend alors aisément que la seule augmentation du fondamental usuel ne soit pas suffisante pour féminiser la voix.  En effet, une voix peut être perçue comme grave alors même que le la fréquence fondamentale est haute, et vice-versa (12).  La perception du genre dépend en réalité surtout de la résonance. (13) (14) (15). Plus intéressant encore ! Il s’avère que le 3ème formant est LE prédicteur par excellence de perception féminine. L’antériorisation linguale et l’étirement des lèvres augmentent l’ensemble des formants vocaliques (16). Cette étape 4 est donc primordiale dans le processus de féminisation. On cherchera à développer la perception de la résonance antérieure à l’aide de phonèmes facilitateurs, tels que /m/, /ng/, /i/ ou /u/ avec une faible mobilisation de la mandibule à la parole (17).

L’allongement des voyelles dans le chant permet la stabilisation du son, l’optimisation de la résonance et sa prise de conscience. La voix résonne sur les voix-yelles : c’est un fait que la patiente constate avec étonnement lorsqu’elle chante. À son grand bonheur, le timbre s’en trouve amélioré elle entend sa voix immédiatement plus claire et plus sonore qu’en voix conversationnelle. Elle en déduit ainsi à quel point il est important de créer une réverbération du son en bouche afin de l’amplifier, sans solliciter davantage les cordes vocales. Par ailleurs, la durée de production des voyelles étant légèrement plus longue chez la femme, on profitera du passage par la chanson pour les aaallooongeeeer (18) à « bouche que veux-tu » ! 

LA VOIX « GORGE DE PIGEON »

Claire Gillie

Apolline avait perdu deux ans avant cette tante qui l’avait beaucoup gardée quand elle était bébé ; il ne lui en restait qu’une photo au mur. Mais comme le travail de quelques séances nous l’apprit rapidement, elle avait emprisonné au fond de son gosier « les restes » des vocalises que faisaient encore cette tante-nounou chanteuse alors qu’elle gardait sa nièce. La mère d’Apolline n’avait jamais « supporté les débordements lyriques » de sa sœur, « remariée avec son putain de chant » depuis son divorce. Et elle pourra dire très vite qu’entendre les « piaillements » de sa fille lui ressuscitaient cette autre voix haïe de sa sœur aînée, qui n’était plus « la douce voix des berceuses » de son enfance.

Notre voix marquée des cicatrices, ratures et effacements de notre vie, s’offre comme un palimpseste à l’écoute de l’autre. A bien y tendre l’oreille, elle se déroule comme un parchemin vocal dont le texte primitif – la voix émergeante de la prime enfance – aurait été gratté et sur lequel des voix nouvelles s’inscriraient au gré des situations vécues. L’enfant pris dans cette boucle socio-phonatoire, héritier d’une « voix de nature » aussi bien que « de culture », se trouve confronté, dès les premiers moments d’éducation, à la transmission orale d’habitus vocaux qui confèrent au groupe son sentiment de cohésion sociale.

Voix non stabilisées, car souvent déstabilisées par la parole de l’adulte, ce sont ces voix que nous avons appelées « gorge de pigeon »…

Celui que nous appellerons « l’homme à la barre » le sait.  Lui le doubleur, professionnel de la voix, qui sait « épouser » toutes les voix, il ne reconnaît plus sa voix, ne se reconnaît plus dans sa voix.

« Je suis en mode ‘voix de gorge de pigeon’ aujourd’hui. Vous voyez une voix grise, avec juste des reflets bleutés, qui se pose comme ça sur le rebord de fenêtre, qui roucoule, qui fait son joli cœur. Et puis si vous approchez, elle s’en va dans un grand battement d’ailes. Elle vous laisse des plumes…. D’ailleurs, j’y laisse des plumes … grises elles aussi. Mais le bleu c’est pour la gorge… Le bleu, la couleur des garçons… Les bleus à l’âme … Des bleus sur les cordes vocales … Le blues… »

Accompagner la féminisation vocale en orthophonie Quand ? Quoi ? Comment ? Combien?

Barbara Becker , Orthophoniste , Grenoble

Le débit :

– Prise de conscience : enregistrement audio, écoute de voix de femmes, comparaisons et auto-analyse

– Exercices de gestion du débit : ralentir, accélérer, maintenir

– Prise de conscience des effets de ce travail du débit sur la voix : sentir, observer, écouter, relier aux résonances, à la souplesse de l’articulation et à la perception globale de la hauteur

  1. La prosodie :

– Explorer les possibilités en voix parlée en partant des prises de conscience des capacités vocales lors du travail de la hauteur,

– Chanter la voix parlée : utiliser une chanson que l’on peut ensuite parler (choisir un poème mis en musique a posteriori ou inversement une chanson qui est communément récitée en poème)

– Exagérer la prosodie en utilisant des supports appropriés comme des sketchs, des pièces de théâtre en  donnant différents types de rôles : fille enfant, femme timide, femme fatale, femme bourgeoise, femme d’origine étrangère avec un fort accent

– Produire des glissandi « lâchés » ou « laisser sa voix s’envoler » vers les aigus sur des voyelles puis transférer sur des mots isolés puis des groupes de mots et des phrases

  1. Le non-verbal : mimiques, attitudes gestuelles

– Observer et décrire des mimiques et attitudes gestuelles dans la détente et la féminité 

– Rechercher une harmonie entre le corps et la voix dans les exercices précédents,

– Danser en chantant ou en réalisant les exercices de prosodie,

– Choisir des textes expressifs et libérer le langage corporel, accompagner ses gestes jusqu’au bout des doigts

 

La prise en charge orthophonique péri-opératoire dans le cadre d’une chirurgie de féminisation vocale

Joana Révis, orthophoniste, Marseille

    • que va-t-il se passer au moment de la reprise vocale ? La reprise vocale on l’a vu va se faire avec l’orthophoniste à J21.
      • le repos vocal implique également de ne pas chuchoter. En soi, un chuchotement très très doux ne devrait pas être délétère, mais en pratique il n’est pas tenable : les mimiques de l’interlocuteur qui tend l’oreille poussent inexorablement à augmenter le volume du chuchotement d’une manière involontaire et inconsciente et on se retrouve à forcer le chuchotement ce qui là, est très fortement déconseillé.
      • la question de la toux est généralement posée : puisqu’il leur est interdit de parler elles s’inquiètent beaucoup de ce qui pourrait se passer lors d’une quinte de toux. Là encore, il s’agit d’anticiper les choses et de bien tout faire pour éviter d’attraper un rhume ! Prévoir de bien se couvrir, de ne pas sortir par temps trop froid, faire une petite cure de vitamine avant la chirurgie pour booster les défenses immunitaires, boire beaucoup d’eau, éviter les gens malades ou porter un masque en leur présence, ne pas fumer (!)… Et si malgré tout la patiente doit tousser… hé bien qu’elle tousse ! La toux n’est malheureusement pas contrôlable et il vaut mieux finalement tousser une fois que de se racler la gorge en permanence.
      • c’est pour cela que j’évoque pour le repos vocal l’idée de fermeté (c’est important) et de réalisme (dans la mesure du possible). Il faut présenter les choses de la manière la plus positive possible et toujours éviter de culpabiliser la patiente. Le repos vocal permet de mettre toutes les chances de notre côté pour que la synéchie « prenne », mais le repos vocal n’est pas le seul facteur de réussite. Quelquefois un point lâche parce qu’il lâche, c’est tout, sans raison. Et quelquefois un point qui lâche n’empêche pas pour autant la cicatrisation de la synéchie. Il est en revanche toujours contreproductif de laisser la patiente penser que si ça n’a pas marché c’est de sa faute. Si ça n’a pas marché, il est possible d’y revenir quelques mois après, ou de se recentrer sur la féminisation orthophonique si la patiente est échaudée. Mais quoi qu’il en soit, « on va y arriver » doit rester le fil rouge de notre message.
      • pendant ce long repos vocal, il est souvent utile et rassurant pour la patiente de communiquer une fois par semaine par sms ou par mail, ou plus souvent si besoin en cas d’inquiétude. Ce qui se passe pendant cette période de cicatrisation n’est pas vraiment de notre ressort mais quelques mots d’encouragement et de réconfort sont souvent d’une grande aide.

L’Hygiène vocale. 

Dr. Elisabeth Péri-Fontaa, Orl-Phoniatre, Strasbourg

Hydratation, alimentation, prise médicamenteuse, tabac et autres toxiques : quels effets sur la voix ?

L’intérêt de l’hygiène vocale est de connaître les effets sur la voix, favorables ou délétères, des facteurs externes pénétrant notre corps.

Parmi les conseils, les recettes, les craintes ou les croyances concernant ces effets, parmi les habitudes, bonnes ou mauvaises concernant l’hygiène vocale, comment faire « scientifiquement » le tri et surtout quelles sont les erreurs à éviter pour favoriser le bon fonctionnement de l’appareil phonatoire ?

Nous avons choisi ici d’envisager les notions, vraies ou fausses, concernant l’hydratation, l’alimentation, le tabac et autres toxiques, ainsi que la prise de médicaments pouvant influencer le fonctionnement vocal, notamment dans le contexte d’une recherche de féminisation ou de masculinisation de la voix.

  • L’hydratation et la voix
  • Le rôle de l’hydratation dans la production vocale

La qualité de la voix est le résultat d’une coordination gestuelle impliquant, entre autres, la ventilation, le jeu des résonateurs et la vibration des cordes vocales (CV). L’accolement du bord libre des CV au cours du cycle vibratoire est particulièrement important pour la qualité du timbre, et ce, quelle que soit la vitesse des cycles, c’est-à-dire la hauteur de la voix. 

La difficulté à trouver un bon accolement des CV va se traduire par une hyperactivité des muscles adducteurs laryngés (« serrage »), à l’origine d’une altération du déroulement de la vibration cordale, réduction de la tessiture, altération du timbre, forçage et fatigue vocale.

Ceci est particulièrement important lorsque l’on va produire sa voix dans une zone fréquentielle différente de celle utilisée de manière « naturelle » pendant une longue période.

L’état d’hydratation de la muqueuse cordale est un facteur jouant un rôle fondamental dans l’accolement des bords libres des CV.

Les propriétés biomécaniques et aérodynamiques des CV sont sensibles aux variations d’humidité qui agissent sur la couche superficielle de leur muqueuse. L’hydratation de ce tissu est nécessaire pour optimiser le fonctionnement laryngé.

En effet, la synchronisation des mouvements des CV est liée à la viscosité des tissus, elle-même dépendante de leur hydratation :

  • la déshydratation de l’air présent naturellement dans le larynx a pour effet d’augmenter la rigidité de la muqueuse des CV par élévation de la viscosité
  • le défaut d’hydratation conduit à la production d’un mucus épais qui, déposé sur les CV, abaisse la fréquence fondamentale (F0) en ralentissant la vibration muqueuse et augmente l’irrégularité des vibrations

En cas de déshydratation de la muqueuse des CV, la pression sous-glottique doit être plus importante pour initier la vibration muqueuse, les vibrations deviennent irrégulières et l’efficacité vocale diminue. Il faut alors produire plus d’effort pour un résultat phonatoire identique.

Physiologiquement, la mise en tension des CV et leur niveau de contraction pour atteindre des fréquences élevées s’accompagnent d’un rapprochement moins facile que pour les sons graves : l’insuffisance d’hydratation va rendre encore plus difficile l’accolement des CV, à l’origine d’un forçage vocal, de difficultés à régler la hauteur tonale et d’une altération du timbre.